Les RH sont les garants du bien-être en entreprise… mais qui se soucie du leur ?
Écouter, accompagner, gérer les crises : leur charge émotionnelle est grande. Pourtant, rares sont les entreprises à leur offrir un cadre structuré pour l’évacuer. Ajoutez à cela la gestion des licenciements, les conflits, les transformations sociales : les RH sont souvent ce « service à part », ni totalement employés, ni tout à fait cadres. Une position délicate qui, souvent, les isole.
Faut-il enfin reconnaître que les RH ont aussi besoin de soutien ?
Peut-on encore se permettre d’ignorer leur bien-être ? Des RH épuisés, c’est toute l’entreprise qui en souffre. Il est temps de repenser leur rôle et de leur offrir les ressources qu’ils méritent.
J’ai eu la chance d’interviewer trois DRH, Isabelle, Taïs et Catherine. Leurs réponses sont franches, lucides et pleines de pistes concrètes. Par ici pour des solutions éprouvées et approuvées !
1- Pourquoi le bien-être des RH est-il le grand oublié des entreprises ?
Une charge émotionnelle invisible
« Personne ne prend soin des RH. » C’est la première chose que Taïs m’a dite.
Être RH, c’est accompagner les salariés, écouter, absorber les tensions — en mettant souvent de côté ses propres émotions. C’est ce qu’on appelle la charge émotionnelle (« emotional labor ») : prendre soin de l’humain chez l’autre, en s’oubliant soi-même.
> 60 % des RH considèrent « l’épuisement émotionnel » comme leur plus grand défi. Le résultat ? Surcharge mentale, stress, burn-out.
Autre difficulté : les RH sont souvent vus comme les « bras armés » de la direction.
Pourtant, comme l’explique Taïs : « On pense que je suis là pour accorder des droits aux dirigeants. En réalité, je gère les conflits engendrés par leur management. » Ce malentendu sur leur rôle entretient la défiance et l’incompréhension. Un job bien plus délicat qu’il n’y paraît.
Les RH, c’est surtout gérer de l’humain ! Or l’être humain est complexe, imprévisible, inattendu. – Catherine
Un rôle mal défini qui accentue leur isolement professionnel
Au quotidien, les RH sont au centre des conflits. Pris en « sandwich » entre la direction et les collaborateurs, leur neutralité nécessaire les isole de fait. Isabelle décrit :
« Le rôle des RH implique souvent d’annoncer des décisions importantes, parfois difficiles, qui ne sont pas toujours bien acceptées. Cela crée une certaine distance. »
À cela s’ajoute un autre problème : le manque de formation des managers. Beaucoup sont mal formés aux responsabilités humaines. Résultat : ils délèguent les tensions aux RH. Catherine explique :
« Beaucoup de managers n’assument que la partie positive de leur rôle. Quand un souci arrive, ils renvoient la question aux RH. »
Ce qui alourdit encore la charge émotionnelle de ces derniers.
La direction ne comprend pas notre fonction. On n’essaie pas de contourner le droit social : on l’explique, on éclaire les risques juridiques pour prendre des décisions en conscience. – Taïs
Distance des salariés, manque de compréhension de la direction : ce double regard, parfois méfiant, contribue à leur isolement.
Un manque de dispositifs de soutien adaptés
Dans les petites structures, l’isolement est encore plus fort. Souvent, une seule personne gère toute la fonction RH.
« Le sentiment d’isolement existe davantage dans les petites structures. Le ou la DRH est seul.e pour gérer la paie, les contentieux... » – Isabelle
Cet isolement est renforcé par le manque de reconnaissance. Dans beaucoup d’organisations, le service RH est perçu comme non productif,donc non prioritaire lorsqu’il s’agit de décider des budgets. Catherine souligne :
« On dit souvent non aux équipes RH qui demandent des ressources, alors qu’on ne dit pas non aux commerciaux. »
À cela s’ajoute le fameux « travail émotionnel », reconnu dans les métiers du soin (psychologues, travailleurs sociaux...) En entreprise, on le minimise : qui se confierait à son RH comme à son psy ? Erreur. Le contexte actuel est difficile, le monde de l’entreprise n’a jamais été aussi difficile à naviguer, la pandémie nous a tous fragilisés. Les RH traitent donc des sujets lourds. La frontière entre pro et perso devient poreuse.
- 38 % ont discuté de santé mentale avec des employés en dehors du temps de travail.
- Plus d’un quart se sentent trop impliqués dans la vie privée des collaborateurs.
Et pourtant, pas d’espace pour évacuer cette pression, à gérer seuls. Leur travail émotionnel reste peu reconnu, malgré des missions qui vont bien au-delà de l’administratif : licenciements, conflits, détresse… Tout cela est rarement pris en compte dans l’évaluation de leur charge réelle.
Quand l’épuisement me guette, je monte le ton. Je n’arrive plus à contrôler mes mots. Et j’attends que le dirigeant prenne le relais… mais il ne le fait pas. La résignation, c’est le début du burnout. – Taïs
Maintenant que votre moral est à zéro, voici nos solutions !
2- Repenser le bien-être des RH : des pistes concrètes à explorer
Créer des espaces dédiés pour faire baisser la charge mentale
- Codéveloppement et coaching individuel : proposer des ateliers réguliers pour partager les situations difficiles et s’entraider entre pairs.
- Ateliers animés par des tiers neutres : pour libérer la parole sans crainte de jugement.
- Plateformes digitales de soutien psychologique, comme Moka Care. Taïs explique que son « entreprise prend en charge deux séances par mois. » C’est un bon début.
- Former les RH à se protéger : en intégrant des modules de gestion émotionnelle et de prévention du burn-out dans leur formation initiale.
> À noter : ces espaces doivent être inscrits dans la politique RH de l’entreprise, et pas laissés à la bonne volonté individuelle.
Mieux intégrer les RH à la stratégie d’entreprise
- Taïs rêve d’un vrai espace stratégique RH avec la direction. Comme une réunion commerciale : un ordre du jour, un rétroplanning, des KPI, des feedbacks sur les budgets de recrutement, de formation.
- Catherine propose « des points réguliers avec la Direction Générale, pour trouver des solutions ensemble, comme on le fait avec les commerciaux. »
- Cette intégration passe aussi par : une fiche de poste claire et une frontière nette entre le travail des RH et celui des managers.
- Enfin, penser l’intégration de manière littérale : les bureaux des RH doivent être placés avec ceux des autres équipes.
« Les RH doivent faire partie de la vie de l’entreprise au même titre que les autres départements opérationnels. » – Catherine
Instaurer une véritable culture managériale bienveillante
- Former tous les managers aux responsabilités humaines pour que les RH ne soient plus seuls à gérer les conflits
- Promouvoir le télétravail flexible pour les RH. Des moments de prise de recul nécessaires pour réduire les tensions dues aux interactions quotidiennes. Il doit être pensé comme un outil de récupération, ne doit pas contribuer à l’isolement.
- Déployer des outils de suivi préventif : baromètres internes anonymes sur la qualité de vie au travail, pour détecter les signaux faibles et alléger la charge des RH.
Catherine : le mot de la fin :
« On peut sans doute faire baisser la charge mentale avec une vraie culture d’entreprise bienveillante. »
Pour assurer le bien-être des RH, des solutions concrètes existent : groupes de parole, coaching externe, plateformes de soutien psychologique, reconnaissance officielle du travail émotionnel.
Il est temps de repenser la place du service RH dans l’entreprise : Emprunter au service commercial ses réunions structurées. Redéfinir clairement les missions RH, leur dédier un budget plus conséquent.
Enfin, former les managers à prendre le relais, encourager le télétravail, réellement s’intéresser à leur santé mentale…
Taïs, elle, aimerait qu’on lui pose une vraie question : « Et toi, comment tu vas ? »